mardi 27 novembre 2007

Le Québec a ses poètes

...et je fonds devant eux !

Le plus beau voyage
J'ai refait le plus beau voyage
De mon enfance à aujourd'hui
Sans un adieu sans un bagage
Sans un regret ou nostalgie
J'ai revu mes appartenances
Mes trente-trois ans et la vie
Et c'est de toutes mes partances
Le plus heureux flash de ma vie

Je suis de lacs et de rivières
Je suis de gibier de poissons
Je suis de roches et de poussière
Je ne suis pas des grandes moissons

Je suis de sucre et d'eau d'érable
De pater noster de credo
Je suis de dix enfants à table
Je suis de janvier sous zéro

Je suis d'Amérique et de France
Je suis de chômage et d'exil
Je suis d'octobre et d'espérance
Je suis une race en péril
Je suis prévu pour l'an deux mille
Je suis notre libération

Comme des millions de gens fragiles
A des promesses d'élection
Je suis l'énergie qui s'empile
D'Ungava à Manicouagan

Je suis Québec mort ou vivant.

Claude Gauthier


Speak what
Il est si beau de vous entendre parler
de la Romande du vin
et de l'Homme rapaillé
d'imaginer vos coureurs des bois
des poèmes dans leurs carquois

nous sommes cent peuples venus de loin
partager vos rêves et vos hivers
nous avions les mots
de Montale et de Neruda
le souffle de l'Oural
le rythme des haïku

Speak what now

nos parents ne comprennent déjà plus nos enfants
nous sommes étrangers
à la colère de Félix
et au spleen de Nelligan
parlez-nous de votre Charte
de la beauté vermeille de vos automnes
du funeste octobre
et aussi du Noblet
nous sommes sensibles
aux pas cadencés
aux esprits cadenassés
speak what

comment parlez-vous
dans vos salons huppés
vous souvenez-vous du vacarme des usines
and of the voice des contremaîtres
you sound like them more and more

speak what now
que personne ne vous comprend
ni à St-Henri ni à Montréal-Nord
nous y parlons
la langue du silence
et de l'impuissance

speak what

« production, profits et pourcentages »
parlez-nous d'autres choses
des enfants que nous aurons ensemble
du jardin que nous leur ferons

délestez-vous des maîtres et du cilice
imposez-nous votre langue
nous vous raconterons
la guerre, la torture et la misère
nous dirons notre trépas avec vos mots
pour que vous ne mouriez pas
et nous parlerons
avec notre verbe bâtard

et nos accents fêlés
du Cambodge et du Salvador
du Chili et de la Roumanie
de la Molise et du Péloponnèse
jusqu'à notre dernier regard

speak what

nous sommes cent peuples venus de loin
pour vous dire que vous n'êtes pas seuls.

Marco Micone, « Speak what »,VLB Éditeur, Montréal 2001


Ils me disent .
Ils me disent : venu de loin
D'une autre rive
D'un autre fleuve d'un autre soleil

Ils me disent : accent d'ailleurs
Autre façon de voir, de vivre
Autres histoires dans ma mémoire

Ils me disent : autres ressemblances
Autres images que je dessine
Autres couleurs

Ils ne savent pas
Que si je suis venu ici
C'est pour leur langue, leur pays pour leur candeur

Ils ne savent pas
Que si je les ai choisis
C'est pour cheminer avec eux vers le meilleur

Ils ne savent pas
Que le bonheur c'est d'offrir à la collectivité
Toute la chaleur de sa particulière universalité

-- Ils savent
qu'une nuit diversement étoilée
est plus chatoyante pour le coeur

Ils savent que de par le charme de leur originalité
Les multiples oiseaux du ciel
Forment en liesse les plus beaux cours

Ils savent
Que partout sur la terre, de Johannesburg au Québec
L'eau murmure un même chant l'air siffle pareil

Ils savent
Que partout sur la terre, de Santiago au Bangladesh
Une larme a cette même saveur douloureuse de sel

Ils savent
Que le mot singularité s'estompe
Quand l'amour et la bonté baignent paupières et artères

Ils savent
que de Sherbrooke à la Baie James, de Hull à Nicolet
Toutes les âmes s'acquièrent au flux de la fraternité

Bernard Antoun, « Ils me disent . », dans Solitude des autres. Liens interculturels
collectif sous la direction de Norma Lopez-Therrien, Éditions Logiques, coll. « Écoles », 1992, p.11.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonsoir,
je découvre votre site et j'ai beaucoup aimé lire votre poème intitulé "le plus beau voyage". Il est magnifique, j'aime les mots qui suivent
"Je suis de lacs et de rivières
Je suis de gibier de poissons
Je suis de roches et de poussière
Je ne suis pas des grandes moissons"

superbe écrit. Bravo.
http://monicalisa.over-blog.com