mercredi 22 août 2007

Antoine de Saint-Exupéry ( suite )

Et on poursuit la découverte d' Antoine de Saint- Exupéry avec l'article du Figaro de la semaine :

Tout l'été « Le Figaro Littéraire » vous donne rendez-vous avec Antoine de Saint-Exupéry. Soixante-trois ans après sa mort, sa vie et son oeuvre n'ont pas livré tous leurs mystères. Chaque lundi, découvrez un aspect méconnu de l'auteur du « Petit Prince ».
Cette semaine : A la recherche de l'avion perdu.

L e 1er septembre 2003, au terme de trois années de recherches intensives, sont enfin remontés à la surface un certain nombre de restes d'un avion, qui gisaient par quatre-vingts mètres de fond au nord-est de l'île de Riou, au large de Marseille : le train d'atterrissage, un morceau d'hélice, des éléments de carlingue et surtout du châssis. Ces recherches ont été conduites par la Comex de M. Delauze, entreprise pionnière de la plongée sous-marine industrielle et des fouilles. Elle travaille en étroite collaboration avec l'Ifremer et l'Aéro-Re.L.I.C., une association spécialisée dans la localisation et l'identification des crashs, que dirigent ses fondateurs Pierre Becker et Philippe Castellano, le tout sous la houlette de la Drassm de Marseille.
Ce sont ces derniers, portant l'inscription LAC 2734 gravée « sur la paroi interne tribord du logement du turbocompresseur » dans l'usine Loockheed de Burbank, Californie, qui permettront d'identifier l'épave : il s'agit bien de « l'avion bimoteur, bipoutre, monoplace de type Loockheed Lightning F-5B P-38, matricule militaire 42-68223 attribué par les autorités de l'US Air Force en décembre 1943, porté manquant au retour de mission le 31 juillet 1944, avec comme pilote à ses commandes le commandant Antoine-Marie de Saint-Exupéry ».
Ainsi s'expriment, de manière précise et froide, MM. Becker et Castellano, cosignataires en janvier 2004 d'un « rapport préliminaire » à destination des services de l'armée de l'air.
Le rapport rappelle que les débris « épars et très abîmés » de l'aéronef ont été trouvés le 23 mai 2000 lors d'une « plongée d'agrément » par M. Luc Vanrell, directeur de la société Le Comptoir des sports sous-marins, qui en est « l'inventeur » aux termes de la loi. Il insiste sur le « choc d'une rare violence (impact) avec l'élément marin », qui s'est « certainement produit à une grande vitesse associée à un angle d'incidence prolongé devant se rapprocher de la verticale ». Ce dont témoignent les photos de certaines pièces, littéralement pliées « en accordéon ».
Le rapport mentionne également que les experts n'ont relevé sur les pièces retrouvées « aucune marque particulière ou trace de perforation par un possible tir », tout en ne pouvant pas se prononcer définitivement sur ce point crucial - le crash du Lightning de Saint-Ex fut-il accidentel, ou l'avion a-t-il été abattu par un chasseur allemand ? -, « vu le faible pourcentage de l'avion récupéré ».
Après vérification chez Loockheed qu'il s'agit du bon avion, la découverte, sensationnelle, est publiée le 7 avril 2004, soit presque soixante ans après la disparition de Saint-Exupéry. En mai 2004, les restes de l'appareil, alors entreposés sur la base aérienne 125 d'Istres-Le Tubé font l'objet d'une seconde expertise, réalisée par le BEA (Bureau enquêtes accidents) du ministère de la Défense, à la demande du délégué au patrimoine air de l'armée de l'air. Ce rapport officiel étudie techniquement et minutieusement, photos et vidéos à l'appui, les pièces retrouvées et conclut à son tour « qu'elles semblent provenir de l'avion du commandant Antoine de Saint-Exupéry ». Fin d'un mystère vieux de soixante ans, qui a fait couler des flots d'encre, passionné les médias et les lecteurs de Saint-Exupéry, suscité polémiques voire procès, hypothèses plus ou moins farfelues, thèses et contre-thèses... Désormais les restes du Lightning sont exposés au Musée de l'air et de l'espace du Bourget, dans un espace consacré à l'écrivain aviateur.
Les derniers temps de sa vie nous sont connus avec précision. Après avoir quitté les États-Unis en avril 1943, le commandant de Saint-Exupéry reprend du service actif dans l'aviation alliée en Tunisie. Il effectue quelques missions de reconnaissance, mais est victime de plusieurs incidents, qui le font mettre « en réserve de commandement », étant donné son âge, son mauvais état de santé général, ses différents crashs précédents.
Il séjourne alors en Algérie, au Maroc, puis en Algérie de nouveau, où il obtient au printemps 1944 l'autorisation du commandant en chef des forces aériennes en Méditerranée, le général américain Eaker, de rejoindre le prestigieux groupe 2/33 basé à Alghero, en Sardaigne. Il effectue plusieurs vols, émaillés de pannes et d'incidents. Le 17 juillet 1944, le 2/33 s'installe à Borgo, non loin de Bastia, en Corse. C'est de l'aéroport voisin de Poretta que Saint-Ex décolle aux commandes de son Lightning P-38 le 31 juillet à 8 h 25 du matin, pour une mission de mapping au-dessus du territoire français : des reconnaissances photographiques afin de tracer des cartes précises du pays, fort utiles lors du tout prochain débarquement en Provence (le 15 août).
Il est seul à bord, son avion n'est pas armé et emporte avec lui du carburant pour six heures de vol. À 8 h 30, dernier écho radar. Puis, plus rien. Ses camarades s'inquiètent, puis, ne le voyant pas revenir, ne se font aucune illusion, et le portent « manquant » au tableau des effectifs. Selon la procédure habituelle, une liste de ses effets personnels est établie : neuf cent quinze pages dactylographiées du manuscrit de Citadelle (que l'écrivain, selon ses habitudes de travail, aurait sans doute considérablement réduit), des carnets, agendas et papiers divers, une agrafeuse, une pipe cassée, un uniforme réglementaire de GI, sept paires de chaussures, quatre pyjamas, un caleçon de bain, quatorze mouchoirs, une boîte d'aquarelle, un jeu de cartes, une trousse de toilette, deux rasoirs électriques, une petite somme d'argent en diverses monnaies étrangères, un peignoir de bain en soie, « tragique résumé de toute une vie », note l'une de ses biographes, Stacy de La Bruyère.
Sitôt connue, la nouvelle se répand dans la presse. N'oublions pas que Saint-Exupéry était un écrivain célèbre depuis le début des années 1930. « On se refuse à croire la brève dépêche », écrit ainsi dans Le Figaro du 30 septembre 1944 Robert de Saint-Jean, qui ajoute : « On espère malgré tout, et l'on se rappelle combien de fois, dans le passé, Saint-Exupéry joua victorieusement à cache-cache avec la mort ! »
Pas cette fois. Impossible d'effectuer des recherches sur le terrain en temps de guerre, Saint-Ex est officiellement porté disparu. Sa mémoire est célébrée solennellement à Strasbourg le 31 juillet 1945. En 1948, il est reconnu « mort pour la patrie », avec pour conséquence automatique, dans le cas d'un écrivain, que les droits d'auteur sur son oeuvre sont prolongés de trente ans au-delà du délai normal. Puis, au Journal officiel du 12 mars 1950, le commandant Antoine de Saint-Exupéry est cité à l'ordre de l'armée aérienne à titre posthume, pour avoir « prouvé, en 1940 comme en 1943, sa passion de servir et sa foi en le destin de la patrie », et « trouvé une mort glorieuse, le 31 juillet 1944, au retour d'une mission de reconnaissance lointaine sur son pays occupé par l'ennemi ».
Si la mort ne faisait désormais plus de doute, restait à en élucider les circonstances. En 1950, le pasteur Hermann Korth d'Aix-la-Chapelle, ancien officier de renseignements dans la Luftwaffe, témoignera avoir appris, le 31 juillet 1944, qu'un Lightning P-38 avait été abattu en Méditerranée par un Focke-Wulf allemand. Puis, en 1972, surgit le témoignage (posthume) de l'aspirant Heichele, qui aurait canonné le Lightning depuis son appareil, vers midi, au-dessus de Castellane. Mais Heichele a été à son tour abattu en août 1944...
Bien énigmatique, aussi, ce témoignage très tardif (dans les années 1990), à propos d'une habitante de Carqueiranne qui aurait vu, le jour fatidique, le Lightning se faire abattre. Puis la mer aurait rejeté le corps d'un soldat sur la plage, lequel a été enterré anonymement dans le cimetière de la commune. Était-ce Saint-Exupéry ? Pour le savoir, il faudrait exhumer le corps, procéder à des comparaisons avec l'ADN des membres de sa famille, lesquels s'y montrent opposés : « Laissez Saint-Exupéry où il est. »
Chaque fois, ces « révélations » relancèrent l'intérêt aussi bien des spécialistes que du grand public, pour le « mystère Saint-Exupéry ». Il y eut même un passionné alsacien qui tenta de prouver que l'écrivain aviateur n'avait pas disparu en Méditerranée, mais que son appareil s'était crashé dans les Alpes. Quant à sa mort même, fut-elle causée par une énième panne technique, un malaise du pilote ? Certains émirent même, au grand scandale de ses proches, l'hypothèse du suicide d'un Saint-Exupéry diminué physiquement, désespéré par le monde qu'il voyait s'annoncer, thèse confortée par certains de ses derniers écrits, au ton franchement pessimiste...
La seule façon d'établir la vérité serait de retrouver l'épave de l'appareil. Ce à quoi s'attelèrent, durant des décennies, des équipes plus ou moins bien renseignées. Longtemps, on chercha au large de Nice. Et puis, en 1998, la trouvaille miraculeuse par le patron-pêcheur Jean-Claude Bianco d'une gourmette en argent, devenue fameuse, portant l'inscription ANTOINE DE SAINT-EXUPERY (CONSUELO) c/o REYNAL AND HITCHCOCK INC. 386 4TH AVE. N.Y. U.S.A. à Sormiou, non loin de Marseille, fit l'effet d'une bombe, réorienta géographiquement les recherches et leur donna une nouvelle impulsion. Pour aboutir à la campagne de fouilles décisive de 2003.
À moins de nouvelles découvertes majeures, on ne saura sans doute jamais l'entière vérité sur la mort de Saint-Exupéry, sinon qu'elle l'a fait entrer dans la légende. Et qu'il a connu la fin qu'il aurait souhaitée, aux commandes de son avion, lui qui, dans sa toute dernière lettre datée du 30 juillet 1944, écrivait à son ami Pierre Dalloz : « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m'épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j'étais fait pour être jardinier. » Comme le Petit Prince.

JEAN-CLAUDE PERRIER.(lefigaro.fr)

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